Ne me quitte pas, tout peut s’oublier, oublier le temps, et les passagers, oublier ces heures, les mamans, leurs poussettes, en particulier
On dira qu’il s’agit d’un bus, d’un de ces gros trolleybus confortables et silencieux qui escaladent en souplesse, assez souvent chargés à bloc les pentes de la Croix Rousse.
Nous sommes à Lyon un soir d’automne. Particularité de ce réseau qui est partagée avec Paris pour des raisons, peut être de lutte contre la fraude, la montée dans les véhicules non articulés ne se fait que par l’avant. Il fait déjà nuit, les passagers sont encore nombreux et l’espace de montée à l’avant déborde. L’arrêt se prolonge, il faut bien que tout le monde se case. Le conducteur semble occupé.
Une mère avec sa poussette se présente devant la porte centrale dans l’espoir de monter au milieu comme cela est la coutume puisqu’il ne lui est pas possible de se fauf iler, elle et sa poussette dans la foule dense qui occupe le mince espace du trottoir vers l’avant. Quelques voyageurs sont descendus, la large po rte centrale s’est refermée.
Notre mère à poussette est toujours sur le trottoir, elle appuie sur le mignon petit bouton lumineux d’ouverture de la porte. Rien. Ce bouton « handicapés » envoie il un apel au conducteur qui commande l’ouverture de la porte ou agit il directement ?. Normalement, au signal et quand il s’agit d’un fauteuil roulant, le conducteur déclenche la sortie de la palette coulissante.
Cette palette qui sort du plancher et facilite la montée ; la maman n’en n’a pas besoin, elle ne demande que l’ouverture de la porte. Elle gare la poussette et appuie de nouveau, tape, puis tambourine des deux mains sur la porte, sans résultat. Cela dure quelques secondes, jusqu’à ce qu’elle capte l’attention d’un voyageur et lui demande par gestes d’activer de l’intérieur l’ouverture de la porte. Ouf, elle monte.
Le conducteur n’a pas réagi, peut être ne pouvait il pas fermer la porte avant d’ouvrir la porte centrale comme le veut la procédure pour l’accueil d’un fauteuil roulant, peut être, et c’est beaucoup plus vraisemblable, avait il la tête ailleurs. A l’avant à ses côtés pour cause de foule, je remarque en effet qu’il ne conduit que de la main droite, s’aidant quand il faut tourner, d’une main gauche qui lui sert en fait à téléphoner, à caler un téléphone portable contre son épaule.
Tendons l’oreille, ce qui ne demande guère d’effort puisque la conversation téléphonique est fort animée. Diable, il s’agirait pour notre conducteur de rappeler à une -semble t’il- demoiselle des promesses passées, de lui reprocher urbi et orbi un comportement, inhumain à son égard, de lui rafraîchir la mémoire sur des circonstances précises où elle aurait, -qui sait-, tenu des propos différents. Le ton monte. Force nous est de constater, nous autres les voyageurs groupés sur la plate-forme avant,.que les affaires ne notre homme sont dans une mauvaise passe ; nous échangeons ainsi des regards compatissants, puis amusés tandis que le bus continue sa route cahin caha.
Le premier virage serré, en bas de la rue Terme, a nécessité l’action de la main gauche, mais ce sera la seule fois. La suite du parcours est agitée, la conversation toujours animée, et l’on franchit fort rudement un « coussin » qui protège un lycée sur lequel il convient d’arriver au pas. Notre bus va-t-il rater le prochain arrêt facultatif ? finalement non, la conversation continue de plus belle. Descendons vite.
On dit que les affaires de cœur relèvent d’une partie ancienne placée à l’arrière de notre cerveau tandis que nos apprentissages se localisent vers l’avant. Ceci explique peut être pourquoi il est ainsi possible de transporter une centaine de personnes dans un environnement difficile, de nuit, dans une circulation encore dense, tout en poursuivant une conversation intime, pasionnée, avec, j’en suis témoin, quelques instants qui auraient été tragiques si l’auditoire guoguenard ne les avait pas trouvés ridicules..
Quelles conclusions pour la relation client transport ?
1°/ Encourager les « retours d’expérience » par les enquêtes auprès des voyageurs, le recueil des opinions des personnels, sur les expériences commerciales louables, mais parfois grotesques, comme la lutte contre la fraude.
2°/ Veiller à la formation et à l’éthique professionnelle des personnels. Dans notre cas, outre le fait que les conducteurs receveurs ne font que très rarement le contrôle des titres de transport des voyageurs que l’on oblige à monter à l’avant, l’usage du téléphone portable pour des conversations privées devrait être interdit. De même le non espect d’une demande de voyageurs pour un service d’accès. Les clients qui observent ces comportements ont du mal à prendre au sérieux l’entreprise délégataire et, partant, la collectivité qui la finance.
3°/ Veiller à la présence des personnels de contrôle, d’assistance aux voyageurs en dehors des jours ouvrables et des heures de bureau, en dehors des zones centrales.
Photos M. Gallet